Arrêter de boire les traitements Le dogme de l’abstinence

Le dogme de l’abstinence

L’alcoolisme est considéré comme une maladie chronique, définie par une dépendance définitive et incurable à l’alcool. La dépendance est caractérisée par une perte du contrôle de la consommation ainsi qu’un besoin obsédant d’alcool. Elle n’a longtemps eu qu’une réponse, l’abstinence volontaire, absolue et définitive. La notion d’abstinence comme seule solution possible a été introduite par des malades alcooliques américains qui en 1935 créent le mouvement des Alcooliques Anonymes. L’idée était somme toute assez simple et logique,  puisqu’il est souvent très difficile, voire impossible de limiter sa consommation d’alcool ; autant ne pas y toucher du tout.

Cette idée a été reprise par les médecins, l’abstinence est devenue l’objectif à atteindre et a été érigée en dogme. Dans ce cadre, le traitement de l’alcoolisme commence par la cure de sevrage, c’est-à-dire l’arrêt total et immédiat de la consommation d’alcool en ambulatoire, à l’hôpital ou en centre de soins spécialisés durant environ trois semaines. Il y a ensuite mise en place d’un traitement médicamenteux (naltrexone ou acamprosate) afin de réduire l’envie de boire, d’un accompagnement psychologique dont le but est de permettre au malade de trouver des parades pour résister à l’appel de l’alcool et une incitation à fréquenter les groupes d’entraide tels Alcooliques Anonymes (AA) ou Vie Libre. En complément, une post-cure de plusieurs mois peut être proposée.

L’abstinence ne permet pas au malade de guérir, c’est seulement une façon très souvent compliquée et ressentie comme douloureuse pour le malade de contourner le problème. Le patient doit fournir au quotidien des efforts importants et constants. Avec en prime une forte culpabilisation pour tous ceux qui ne parviennent pas à tenir :

« Comme toujours, je n’ai pas su refuser le premier verre sans qu’il y ait un instant de silence, et des regards étonnés. J’ai eu du mal à ne pas laisser s’installer un petit malaise. Ça viendra peut-être avec le temps… Mais comme je l’ai déjà dit, c’est difficile avec toutes les cicatrices que j’ai sur le visage de passer pour un modèle de vertu. »

Bien souvent, les malades, las de devoir résister sans cesse aux tentations, finissent par rester à l’écart pour ne pas replonger  :

« Abstinent depuis bientôt deux ans, je me désocialise car je ne me sens plus enclin à participer aux réunions festives quelles qu’elles soient, je souhaiterais maîtriser une consommation « normale » voire occasionnelle, sans crainte de retomber dans le cauchemar. »

Les médicaments proposés sont peu efficaces. Malgré plus de vingt ans d’utilisation de la naltrexone et de l’acamprosate  sur un très grand nombre de patients, aucune publication n’a fait état de baisse significative de la mortalité ou des conséquences de l’alcoolisme dans les vingt dernières années. Et la moindre reprise d’alcool conduit bien souvent à la rechute. Cela est le plus souvent très mal vécu par les malades qui comptent les jours, puis les mois, puis les années, quand ils arrivent à tenir leur abstinence.

Dans ce cadre, 80% des malades alcooliques refusent de se soigner. La première consultation intervenant en moyenne dix ans après les premiers symptômes de la dépendance (source : www.alcoweb.com), en grande partie à cause de l’abstinence que les malades redoutent ou estiment impossible, tant l’alcool fait partie de la société française.

Ceux qui acceptent d’entrer dans le processus classique de soins vont en général de rechute en rechute tant l’abstinence est dure à tenir. Une cure de sevrage, deux cures, sept cures, la dépendance ne cède pas. Un événement heureux ou malheureux finit par conduire la majorité des personnes à replonger.

« J’ai reconnu mon problème d’alcoolisme en 2003 et je me suis engagé, depuis cette époque, dans un vrai combat contre la maladie. Jusqu’en 2006 j’ai oscillé entre périodes d’abstinence (quelques mois) et rechutes et j’ai multiplié les cures, que j’ai toujours très mal vécues, que ce soit sur le plan physique ou psychologique. Entre 2006 et 2009 j’ai été totalement abstinent. En 2009, après la naissance de ma fille, ce qui était pourtant un événement heureux, j’ai eu du mal à gérer le trop-plein émotionnel que cela a déclenché, et je suis revenu lentement, mais sûrement, vers l’alcool »

Il est très difficile d’obtenir un chiffre concernant la réussite de l’abstinence. L’Inserm estime qu’un tiers des patients reste abstinent à un an et 10 % à 20 % au bout de quatre ans. À moyen terme, 15 % des malades acceptant de se soigner arrivent donc à rester à l’écart de l’alcool. Soit 2 % à 4 % des alcooliques, un chiffre dérisoire. Ceux qui arrivent à tenir se savent fragiles et comptent les jours sans boisson, il y a peu de franche réussite, peu d’abstinents heureux.

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