Arrêter de boire Sur le Web Vin et politique: une relation étroite et ancienne

Vin et politique: une relation étroite et ancienne

Par Rachel Garrat-Valcarcel, publié le

Toucher à la filière viticole, électoralement et économiquement importante, n’a jamais été facile pour les gouvernements.

« Le vin n’est pas un alcool comme les autres ». La déclaration du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, ce mercredi, faisait preuve d’une grande mansuétude à l’égard du vin. Elle n’est que la dernière d’une longue liste, tant ce breuvage national a toujours été présent dans l’esprit des politiques.

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La relation entre les dirigeants et la consommation de vin vient de loin. « Même à l’époque moderne, sous Louis XIV, on légifère et on contrôle », explique d’emblée à L’Express Stéphane Le Bras, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Clermont-Auvergne. Bien plus récemment, lors de sa visite au salon de l’agriculture en début d’année, Emmanuel Macron avait expliqué boire du vin tous les jours.

« Surtout une question électoraliste »

« Le président traite bien l’agriculture en général », estime pour L’Express Jean Petaux, politologue à Science Po Bordeaux. D’ailleurs, la conseillère d’Emmanuel Macron pour le domaine de l’agriculture, Audrey Bourolleau, est une ancienne du principal lobby du vin en France, Vin et société.

Le lien entre politique et vin en France est double. « C’est une filière économique importante et il y a une dimension civilisationnelle », détaille Stéphane Le Bras.

« [Chez certains députés] il est question de patrimoine, de mode de vie. Aussi de lutte contre la bien-pensance », appuie Jean Petaux. « Ce sont de belles considérations, mais c’est surtout une question électoraliste », rappelle, plus terre-à-terre, Stéphane Le Bras. Car au début du XXe siècle, ce sont 3,5 millions de familles qui vivent du vin en France. Et donc tout autant de foyers d’électeurs ! Une situation qui perdura quasiment jusqu’aux années 1950. À une époque où la production et la consommation sont sans commune mesure avec aujourd’hui.

« Les députés pinardiers »

« Il fallait écouler les stocks, explique Jean Petaux. Si l’État prenait des mesures de limitation de la consommation, les prix pouvaient s’effondrer. » Des familles de viticulteurs confrontées à la précarité : une situation propice à la révolte, et défavorable à la réélection des hommes politiques en place.

Ainsi, depuis le début du XXe siècle, il a toujours existé au sein de l’Assemblée nationale des groupes de députés proches du lobby du vin : « les députés pinardiers ». Ils venaient alors moins de Bourgogne et du Bordelais que du Beaujolais et du Roussillon, des régions de production massive.

La donne change à partir des années 1950, quand Pierre Mendès-France devient président du Conseil sous la IVe République. La question de la santé publique devient prédominante et l’une de ses principales mesures est l’interdiction du vin à l’école. « Il prend le problème de l’alcoolisme à bras-le-corps. C’était très courageux, car risqué électoralement », estime Stéphane Le Bras.

Le lobby du vin a changé

Les campagnes de prévention, lancées dans les années 1970, commencent à porter leurs fruits une dizaine d’années plus tard. À tel point que les habitudes de consommation changent réellement, dans le sillage de la production qui s’est également transformée. « On boit moins, mais on boit mieux », explique le maître de conférences en histoire contemporaine.

La loi Évin, qui lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, entre en application dès 1991. « Mais elle va être détricotée très vite, dès 1993 », rappelle Stéphane Le Bras. Le lobby du vin ne peut plus compter sur 3,5 millions de familles, mais l’aspect culturel est conservé. Le vin est également le premier poste d’exportation de l’agriculture française.

Dans les années 1990, le lobby du vin évolue lui aussi. « Vin et société est créé en 1995 avec comme objectif de détricoter la loi Évin », estime Stéphane Le Bras. L’un des plus gros reculs a lieu en 2015, quand est notamment autorisée la publicité sur Internet. « Un gros camouflet pour Marisol Touraine », la ministre de la Santé de l’époque, juge Stéphane Le Bras.

Touraine et Buzyn isolées

Une situation pas si éloignée de celle d’Agnès Buzyn, l’actuelle ministre. Elle a, sur la question, une ligne proche de celle à qui elle a succédé, différente de celle du chef de l’État. Alors ministre de l’Économie, il était du côté de « Vin et société », en 2015, pour permettre la publication de publireportages sur l’oenotourisme, au moment du dernier démembrement de la loi Évin.

C’est une déclaration de sa ministre, au début de l’année 2018 [« L’industrie du vin laisse à croire que le vin est un alcool différent des autres alcools. Or, en termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky »] qui est à l’origine de la phrase d’Emmanuel Macron sur sa propre consommation de vin.

Un rite machiste

Une manière de montrer les muscles ? Marisol Touraine racontait, dans une récente émission sur Public Sénat, que lors d’une campagne électorale elle avait été « testée » par un élu local. « Dans une fête locale, le maire de cette commune voulait montrer que je n’étais pas capable de faire de la politique, car je n’étais pas capable de tenir l’alcool. Il m’avait fait passer par tous les stands de la foire et à chaque fois on me proposait un verre pour voir comment j’allais arriver au bout. Je pense qu’il y avait là du machisme et cette idée que si on voulait faire de la politique, il fallait tenir le choc. »

Jean Petaux note que, au-delà des questions purement électorales, économiques ou de santé publique, et même si « les campagnes électorales ne sont plus ce qu’elles étaient », il existe un « rite initiatique » autour du vin. « Un rite machiste dans une société historiquement masculine », juge le politologue bordelais.

https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/vin-et-politique-une-relation-etroite-et-ancienne_2057859.html

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